mardi 16 août 2011

Une victime peut en cacher une autre


Route de Bargny. Les voitures sont toutes à l’arrêt et dans les deux sens. Quelques minutes suffisent pour nous rendre compte que cet arrêt ne relève pas d’un embouteillage ordinaire. Non il ne s’agit pas d’un accident de la route comme on l’en compte souvent sur cet axe… la confirmation nous vient d’un marchand ambulant qui nous informe qu’il s’agit d’une manifestation.

Six ans après le lancement en grande pompe du plan Jaxaay, un vaste projet de construction de 10,000 logements sociaux pour le relogement de toutes les familles victimes d’inondation, Jaxaay ne convainc toujours pas. Une de ses principales controverses réside dans le mode d’attribution des maisons. Une situation qui contribue à amplifier la frustration des familles qui vivent encore le calvaire des inondations.

Les jeunes des quartiers environnants fatigués de patauger dans des eaux de pluies stagnantes tentent de se faire entendre. Après avoir tenté en vain d’attirer l’attention des autorités, ces jeunes ont décidé de prendre leurs concitoyens en otage en bloquant la nationale. L’unique route qui relie la capitale Sénégalaise Dakar au reste du pays. Inutile donc de souligner à quel point le lieu choisi est stratégique.

Comprenant qu’il faille attendre les forces de l’ordre pour espérer poursuivre notre route, nous nous sommes résignés à quitter nos voitures pour nous mettre à l’abri de la chaleur. De l’autre coté de la route, une station d’essence où des petits groupes se forment instantanément pour bien sûr commenter cette actualité à chaud et lancer les débats.

La faim, la chaleur et l’impatience de reprendre la route font perdre à ces débats spontanés toute objectivité. Un homme d’une trentaine d’années sûrement le plus en colère d’entre tous s’expriment en ces termes ‘‘Ce que ces gens là font n’est pas normal, ils n’ont qu’à libérer la voie. Moi j’habite Rufisque et j’ai de l’eau jusque dans ma maison et ce n’est pas pour autant que j’emmerde le monde !’’. 

Un commentaire qui se passe de commentaires…

Et pourtant ce monsieur est appuyé dans ses propos par la plupart des personnes autour. Incroyable mais vrai ! Apparemment rien ne semble justifier, aux yeux de cette majorité, la pertinence de cette action. En effet, le fait qu’il s’agisse d’inondations ne semble pas ébranler outre mesure ces braves gens. Les inondations seraient-elles devenues banales et les soulèvements qui en découlent des faits divers ?

La question est légitime.

Peut être que l’action aurait gagné en impact si elle avait été mieux préparée ? Peut être auraient-ils mieux fait de contacter les média ? D’inscrire leurs revendications sur des pancartes ? Profiter de cet arrêt pour discuter avec les automobilistes du bien fondé de leur acte ? Montrer si possible quelques images de leurs maisons afin de créer de l’empathie ?

L’improvisation est parfois efficace mais seulement si toutes les conditions sont réunies. Ces conditions pourraient inclure une meilleure coordination des victimes pour organiser ce type de manifestation, la mise en place d’une association pour défendre les droits des victimes d’inondations au cas ou cela n’existe pas, une vraie campagne pour l’assainissement, un plan à long terme en lieu et place de plans ponctuels. Mais par dessus tout un véritable plaidoyer pour une approche cohérente de la question de l’habitat en mettant sous un même ministère l'habitat, l'assainissement, l'urbanisme, l'aménagement du territoire qui se trouve chacun dans un ministère séparé.

Pendant que je suis encore plongée dans mes pensées, les forces de l’ordre arrivent (enfin). En moins de deux, ils déguerpissent ces ‘‘agitateurs de l’ordre public’’ comme de vulgaires criminels. En colère, compatissantes ou insensibles, les victimes apparentes et seuls témoins de cet acte d’impuissance se remettent en route… laissant les vraies victimes, celles de l’injustice face à leur désolation.


Faty Kane


Note: Je vous encourage vivement à regarder l'extrait du documentaire ''Plan Jaxaay''
du cinéaste Sénégalais Joseph Gaï Ramaka. Il nous plonge au coeur de l'univers des habitants du quartier Médina Gounass, une banlieue de Dakar où faut-il le dire il ne fait pas bon vivre...